Retrouvez l'intégralité de la tribune de Martine Aubry publiée dans Libération vendredi 2 décembre
Lorsqu’ils vivent et travaillent en France depuis des années, parce que leurs enfants grandissent avec les nôtres, parce qu’ils participent activement à la vie de la cité, les étrangers en situation régulière doivent enfin prendre part aux élections locales, en détenant le droit de vote.
Notre République n’a pas achevé la construction de la démocratie en France.
C’est le long chemin vers le suffrage universel, marqué par des avancées historiques, le vote des femmes, la majorité électorale à 18 ans, et complété par les acquis de la démocratie sociale.
Cette quête doit se poursuivre. Les deux tiers des Français sont désormais favorables au vote des étrangers lors des élections locales. C’est un évident progrès de notre conscience collective.
Mais ce sont des principes qui doivent nous guider dans ce grand débat, et non des sondages.
L’égalité réelle que nous voulons, emprunte la voie du progrès social et de la lutte contre les inégalités qui se sont gravement creusées pendant cette décennie de droite au pouvoir. Mais des droits politiques sont encore à écrire. La citoyenneté demeure l’une des plus fortes expressions de la « société des égaux ». L’égalité s’exprime là, comme le dit justement Pierre Rosanvallon, « sur le mode d’une inclusion, d’une participation ». Un homme ou une femme, une voix.
Je sais, comme chacun, que, dans notre tradition constitutionnelle et notre histoire, la citoyenneté s’est voulue fondée sur la nationalité.
Pourtant, rien n’indique qu’une lecture étroite de ce principe soit dans les gènes de la République. En ouvrant le droit de vote aux élections locales aux autres européens, tout en conservant la règle de nationalité française pour les élections nationales car ce sont les Français qui doivent élire ceux qui sont qui sont amenés à faire les lois de la France, nous avons démontré la capacité d’une marche en avant.
Mais surtout le pacte républicain se doit de réussir l’intégration.
C’est un héritage que même le gouvernement d’aujourd’hui revendique pour donner meilleure figure à sa sombre politique d’immigration.
Or, l’on ne peut plus longtemps verser des larmes de crocodiles devant les difficultés de l’intégration, et dans le même instant, refuser d’examiner la forme avancée d’intégration politique qu’offre le vote aux élections locales. Si la France veut redevenir un modèle dans ce domaine, elle doit regarder hors de ses frontières pour vérifier que d’autres pays, en Europe et au-delà, confrontés aux immigrations successives, réagissent différemment et parfois avec plus d’efficacité et d’humanité.
C’est affaire de reconnaissance et de dignité.
La démocratie sociale est heureusement en avance sur les droits politiques : un salarié étranger peut devenir délégué du personnel ou membre d’un comité d’entreprise, et électeur aux prud’hommes, nul ne s’en offusque. Et plus de 10 pays européens appliquent le droit de vote aux étrangers non communautaires, comme l’Irlande depuis 1963, le Danemark depuis 1975, les Pays-Bas depuis 1983…
Je connais les obstacles qui attendent cette grande réforme, je respecte les objections, j’admets moins les hypocrisies. La question de la réciprocité des droits dans les Etats d’origine est légitime. Convenons qu’il était aisé de l’obtenir des pays membres de l’Union européenne.
Faudra-t-il attendre que la planète soit harmonieusement démocratique et libérée des dictatures, pour qu’ici, l’on consente à reconnaître ce droit ?
J’entends aussi invoquer le risque d’un détournement communautariste.
Sans aucune naïveté ni complaisance, je sais d’expérience que les communautarismes prospèrent davantage quand l’égalité est bafouée, la capacité à s’intégrer déniée, et qu’au fond, une part de la cité se mure à sa propre périphérie.
Faut-il engager cette réforme aujourd’hui? Clairement oui, car par temps de grande crise économique et sociale, la cohésion et la citoyenneté locales sont des réponses et des remparts face aux populismes, d’où qu’ils viennent.
La société française est réceptive à une telle avancée, je la crois prête à l’accepter.
Il faut la déroutante capacité de retournement de l’actuel Président de la République, qui s’y est dit favorable à plusieurs reprises et encore en 2008, pour en faire désormais l’un des instruments destinés à encourager les peurs collectives, et d’abord la peur de l’autre quand l’autre est étranger, dans les mois qui précédent l’élection de 2012. Le cynisme - et même le mensonge quand il s’agit de prétendre que nous proposerions que les étrangers pourraient être Maires alors qu’il s’agit de s’aligner sur le droit des étrangers communautaires qui l’exclut - s’érigent là en méthode de gouvernement. Les Français ne s’y trompent plus.
Pour la gauche française, majoritaire au Sénat et qui prépare l’alternance, c’est l’un des actes législatifs qui traduisent nos valeurs, et l’idée même que nous avons de l’égalité des droits dans la France du XXIème siècle.
Les socialistes voteront cette loi.
Pour moi-même qui ai, de longue date, défendu les progrès de la citoyenneté, c’est la poursuite d’un combat nécessaire et juste.
Il ne nous exonère pas de repenser et de refonder par ailleurs nos politiques de l’immigration et de la nationalité.
Mais il est le signe que dans ce domaine, comme pour tant d’autres, le temps du changement est venu.
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